[...]Il y a des années de cela, lorsque je vivais sur plusieurs étages dans un environnement un peu plus proche de la campagne, l'arrivée des beaux jours signifiait la venue des quatre cent coups. Une manière plutôt saine de s'évader sous quelques ultra violets. On s'esquivait par la fenêtre, colorant nos vêtements de gazon presque jaunâtre. La grande attraction de l'été était de sortir de l'abri de jardin un bac bleu en plastique, creusé façon parc aquatique 5 étoiles.
Malheureusement ce jour-là, le fameux ciel bleu piscine attendu était aux abonnés absents, remplacé par une pluie diluvienne qui aura eu au moins le mérite de créer des bassins à débordements. Et comme souvent quand on est enfant, j'ai eu cette idée insensée de le rapporter à l'intérieur, pas vraiment inquiétée par l'eau qui valsait dangereusement dans le couloir au parquet vitrifié. Je l'ai posé au sol sur un petit tapis quand des cris ont retenti. Le contenu du bac s'était infiltré dans les interstices du sol vernis et bientôt atteignit le plafond du bureau en dessous, laissant une marque gigantesque aux contours irréguliers.
La trace mit une éternité à partir, je pourrais la retrouver sans difficulté en m'introduisant chez les nouveaux propriétaires, à moins qu'ils n'aient tout détruit depuis. Cette marque me semblait indélébile, témoignait d'une bêtise infantile mais mettait en exergue la notion de fuite. Une fuite d'eau au sens propre. Une traversée, un échappatoire au sens figuré. Elle représentait comme un symbole, qui nous permettrait d'accéder à une forme de vérité, de liberté. Ce concept de fugue volontaire ou inconsciente, contrainte ou complètement délibérée nous poursuit toute notre vie. On peut échapper à l'orage qui gronde, aux éclairs qui ne présagent que le pire, à cette lumière et chaleur anormales, puis au tonnerre vrombissant qui se rapproche dangereusement. Au choix on subit ou on s'enfuit, quitte à prendre le risque de se faire foudroyer dans sa course effrénée. Si elle peut paraître lâche, révélant une trop grande faiblesse, cette stratégie peut aussi épargner bien des tempêtes.
Certaines personnes tendent à nous entraîner dans leur évasion dans toute sa relative légitimité. Ces quarantenaires richissimes qui réservent leur aller simple pour Mars, qui rêvent de quitter la terre, le chaos de l'humanité pour rejoindre la quiétude d'une autre contrée de la Voie Lactée. Ces groupes de sans abris regroupés dans les gares glaciales, rêvant devant les tableaux où semblaient déroulées crânement des destinations qu'ils ne pourraient sans doute qu'imaginer.[...]
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