La Transparence des choses ( Russie 2011 )

Nuits russes immortalisées par Ellen Von Unwerth

La Russie était en vogue en 2008 . Mais pour le coup , quel est l'intérêt de suivre le diktat sans saveur des in & out , pourquoi ne pas prendre le risque de rester bloqué plusieurs années en arrière ? La blogosphère est riche , trop riche . Trop de blogs similaires , mêmes sujets , mêmes inspirations , mêmes envies .

Ici encore , le thème a déjà été traité mais il était intéressant d'y revenir , le style post URSS restant irrémédiablement dans l'obscurité . Il y a bien une semaine de la mode à Moscou , mais qui demeure terriblement archaïque , désuète , décalée . Collections bling bling de Thierry Mugler et autres créateurs habillant des mantes religieuses richissimes issue de la nouvelle noblesse soviétique : la mode slave apparait glacée , désaxée . Il faut encore creuser , naviguer dans cet océan de pages web en alphabet cyrillique pour dénicher des perles rares , telles Vika Gazinskaya , jeune créatrice qui ressemble à Tavi dix ans plus tard , dans une version moscovite . Elle ressemble à une muse de Vidal Sassoon , coiffeur star des sixties vénérant la coupe au bol .

Il y a aussi Cyrille Gassiline , qui tient un blog d'inspirations hétéroclites , qui habille des femmes très couvertes et vénéneuses à la fois , prônant un style faussement classique toujours signé d'un rouge à lèvres aubergine et d'une profusion de tartan . Le genre de créateur dont on ne parlera probablement jamais , anti-hype , hors des sentiers battus du terrain miné des "designers à suivre" .

Qui d'autre ? Vardoui Nazarian , qui ose encore la tiare et les couleurs formica . Sommes nous dans un autre dimension , une autre époque ?

Et qui porterait les toges de Nina Donis , sortes de panoplies folkloriques assorties à leur bonnet à ponpons ? Portés par les poupées russes Irina Kulikova et Laura Blokhina , ces créateurs difficilement abordables prennent une toute autre allure , voyez plutôt: ( photos Vogue Russie Septembre 2010

La jeunesse a trouvé la parade : Internet . En témoigne le génial portail culturel "Look at me" , qui mélange actu mode , musique et cinéma . On ne comprend strictement rien , juste que la Russie tend à rattraper son profond retard , s'éveillant d'un profond sommeil administré par le totalitarisme . Toute réflexion politique mise à part : le pays revit , ou presque .

Qu'écoutent les ados moscovites ? Des groupes de l'Eurovision de 96 ? Niet . La modernité s'étend , le street style n'a rien à envier aux autres pays européens. Mais une poupée russe en cache une autre. " La Russie est un rébus enveloppé d'un mystère au sein d'une énigme " disait Churchill . Peut-on se promener dans les rues de St Pétersbourg sans craindre une attaque au kalachnikov ? Rien n'est moins sûr .

Anna* ( le prénom a été modifié ) est partie avec Erasmus l'année dernière et a échappé de peu à de sombres affaires qui n'existent hélàs pas seulement dans le film Gloss .

"Je venais de voir ce film sur la jeunesse de Moscou " Ils mourront tous sauf moi" , la réalité s'en rapproche horriblement" avoue t-elle . Le contraste social crée un malaise perpétuel , la tension du passé stalinien est toujours palpable à certains endroits . " On m'a dit que j'étais jolie , que je devrais faire mannequin , je suis grande et maigre , ils repèrent ce type de silhouettes à des kilomètres , nous sommes des proies faciles , vulnérables , ils sont des prédateurs avec un accent anglais épouvantable et une obsession très malsaine pour les très jeunes filles " . Je vivais dans un petit village , la plupart des filles m'avouaient être prêtes "à s'offrir" pour gagner un peu d'argent. Je me demandais ce que je foutais là , avec mon portable dernier cri , mon foyer confortale qui m'attendait en France et ma sécurité toute relative ici , alors je suis partie , me sentant terriblement coupable de ne pas pouvoir agir" .

A la MEP ( Maison Européenne de la Photographie ) , le visage sombre de la Russie est dévoilé crûment au visiteur . Rien n'est occulté , ce qui confère un côté dérangeant à cette exposition aux couleurs vieillotes mais dont les travaux sont pourtant très récents . Finalement , tout est encore comme dans un Tchekhov ou Nabokov : le monde russe est "un feu pâle" ( 1962 )

Serguei Bratkov immortalise ces petites filles propulsées bien trop tôt dans le monde des adultes. Une précocité qui témoigne de la pauvreté toujours très importante dans certaines régions du pays , cohabitant avec des richesses presque irréelles .

Evgueni Mokhorev délivre un travail entre Sally Mann et Larry Clark avec des clichés d'adolescents osseux encore très innocents . Maladroits voire disgracieux , ces jeunes sujets dégagent quelque chose d'émouvant et d'inquiétant .

Vladimir Mishukhov a pour obsession ces familles " à thème" dont il tire le portrait à travers toute l'Europe de l'Est . C'est en découvrant ces photos de famille qu'on réalise le luxe suprême qu'ont la plupart des foyers français en comparaison ...

L'une de mes photos favorites de l'exposition signée Mikhail Korolev pour la version russe de Playboy en 2005 . Une parodie de la famille Tanenbaum finalement très représentative du style "classe populaire russe d'aujourd'hui" .

Igor Moukhine . Nous sommes dans les années 2000 et pourtant la coiffure de cette jeune femme évoque les années Flash Dance . On se demande si elle a engurgité trop de vodka , est éberluée par un ballet russe ou se contemple simplement dans la glace d'une boîte de nuit glauque.

Parmi les photographes de mode , Vlad Loktev est l'un des rares artistes russes à s'être fait un nom en France . Cette série est tirée de L'Officiel et décrit bien son style ambigu qui rappelle Guy Bourdin et Helmut Newton.