samedi 2 avril 2016

Critique Carthage- Homeland is nowhere


9-11-02, Shanksville, Pennsylvania, Nina Berman



Cette impression persiste jusqu'à la dernière page, Carthage semble rimer avec carnage. Un délitement progressif, articulé dans le temps. Derrière ses airs de pavé propret pour session tea time, Carthage est avant tout un déferlement de violence sourde puis bien vivace, auparavant enfoui et déterré avec douleur et lucidité, défragmenté sous toutes ses coutures. Une oeuvre colossale, de par son amplitude d'abord et la diversité de ses thématiques-souvent controversées- où s'infectent les plaies incurables du 11 Septembre. Une quête existentielle profonde à voix multiples, rejouant avec habileté les mêmes scènes, des relectures aux points de vue parfois divergents. 

Le procédé rappelle la richesse de la série The Affair, qui dénoue les origines d'un drame sous plusieurs angles. Ici s'expriment en l’occurrence, les membres de la famille Mayfield, version authentique et torturée du prototype de l'American Way of Life et de ses faux semblants de façade. Zeno (  le père au nom à consonance presque grecque) porte la famille avec dignité, dissimulant tant bien que mal les vacillements d'une vie exemplaire en réalité égratignée. Lui et sa femme Arlette ont eu deux filles que tout oppose, Juliet la reine de promo et Cressida l'incomprise surdouée. Inadaptée et brillante à la fois, la cadette peine à se fondre dans le tableau, exprimant ses rancœurs par d'étonnants dessins d'escaliers enchevêtrés, des voies semées d'embûches, belle métaphore des directions parfois chaotiques qu'empruntent les personnages. Entre en scène Brett, vétéran de la guerre d'Irak meurtri et déphasé, entretenant avec le clan une relation passionnelle et destructrice.

 Une nuit énigmatique, Cressida se volatilise tout en devenant paradoxalement bien plus présente dans les esprits des siens. La suite de l'histoire s'élargit soudainement (des sauts dans le passé proche et lointain, jusqu'à 7 ans s'écoulent), tout comme ses contours (la solitude, la mort, la maladie ou la possible reconstruction) et ses décors (la nature marécageuse où toutes les investigations et élucubrations fusent ou l'envers d'une prison de haute sécurité en passant par une Floride face négative des sunlight de Miami). On y croise toutes sortes de figures, des mentors, des guides, des rencontres hasardeuses décisives ou fatales. Carthage, jusque dans son titre, aborde comme des airs de tragédie grecque sous l'égide trompeuse d'une Amérique des années Bush formatée, qui s'effrite jour après jour et ne laisse que peu d'options à ceux qui s'écartent de l'agora.Véritable pythie du genre, Joyce Carol Oates excelle dans l'art d'ausculter les existences et déconvenues du quotidien pour dresser roman après roman un panorama riche et vibrant, décrivant des parcours personnels à portée universelle. Une oeuvre coup de poing rappelant que la septuagénaire (qui s'intéresse d'ailleurs de près au monde de la boxe) ne craint pas d'aborder  les crochets les plus vils du genre humain.

Carthage de Joyce Carol Oates


Un air de... Hatufim ( série originale israélienne, Homeland aux USA), les films sur les PTSD ( troubles post traumatiques comme Brothers), l'Amérique ultra violente d'Elephant ( Gus Van Sant)


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