jeudi 12 mai 2016

LE BUS



Le sauveur





Eté 2015


Une zone industrielle. Un arrêt de bus où personne ne semble s'arrêter. Quelques voitures font silencieusement le plein, à la station essence la plus proche, comme si un convoi de voitures électriques cherchait désespérément des prises géantes. Le silence est apaisant, après des heures d'asphyxie de tubes de l'été et de cris stridents d'enfants en bas âge. Une après-midi un peu pourrie, mais dont on sort quelque part ragaillardi, comme si l'accès à la soirée avait été bien mérité. La température extérieure est supérieure à celle du magasin, atmosphère d'hammam en plein air. 

 Une femme entre deux âges vêtue de noir, à la silhouette concave et au sourire franc. Couverte pour l'été, à priori frigorifiée. Elle semble avoir attendu depuis des heures mais fait preuve d'une patience incroyable.Ses vêtements noirs flottent alors que le vent est inexistant. Je comprends immédiatement, il y a des signes qui ne trompent pas, y compris cette énergie feinte sur un visage émacié. Je ne porte aucun regard réprobateur, j'éprouve même de la sympathie.  On regarde la route déserte, guettons la moindre apparition. Le premier bus a déjà du retard, finira par ne jamais venir. Un second bus doit suivre, n'arrivera pas non plus. Mais la nuit ne s'est pas encore vraiment engouffrée, l'été prolonge les journées. Est-il possible de s'endormir  sur le banc rigide d'un abri bus ? Peut-on être bercé par les bruits lointains de l'autoroute, la tentative de faire du stop étant visiblement inutile, celle de marcher vaine et risquée. Comme souvent dans ce genre de situation qui fixe le temps et replace chacun à la même hauteur, on entame la conversation avec des inconnus, des échanges absurdes et catastrophés, tout est à remettre en question, à considérer sous un autre angle. Nous ne sommes que deux à quelques centaines de mètres à la ronde. Peut-être qu'un gros pick up s'arrêtera avec un conducteur prénommé Hank,qui nous emmènera manger des salades de maïs dans sa véranda avec sa femme Giselle, devant l'intégrale des dvd de Kirk Douglas ( ce serait bien le genre) . 

Peut-être qu'aucun véhicule ne reviendra jamais, parce qu'on apprendra par la radio de la boutique de la station voisine que la route est désormais fermée et que les lignes droites blanches ne mènent nul part, sinon à un misérable abri bus et ses misérables voyageurs. Peut-être qu'un groupe de survivalistes vêtus de sacs à dos dignes de l'armée de terre sortira des galeries marchandes endormies dans lesquelles il aurait creusé des tunnels, organiserait un pique-nique avec tous les produits des têtes de gondole, et tenterait une communication avec des talkie walkie ( si le réseau disparaît on ne sait jamais) avant d'exécuter une flashmob sur la route parfaitement dégagée. 

Peut-être que les serres voisines seraient encore ouvertes, et nous permettraient de tester les transats en bois et les salons de jardin les plus confortables, avant de tenter de griller du pain d'épice sur l'un des barbecue d'exposition. Peut-être qu'un groupe de dromadaires viendrait nous réceptionner parce que la chaleur aurait grillé tous les moteurs et que cette alternative étaient apparue exotique et originale pour le responsable des transports en commun qui rêve d'aller à Marrakech.  En quelques secondes seulement, le scénario de cette étrange soirée se met en place, avant de faire place à un rebondissement inattendu. 

Un autre bus surgit, s'arrête.  La femme entre deux âges, soulagée, s'arrête dans une banlieue modeste de la ville, chargée de divers sacs en plastique que je n'avais pas remarqués au départ. Elle presse le pas, se volatilise. Le conducteur, notre sauveur, toise les quelques rescapés dans son rétroviseur, vêtu d'un polo saumon et de lunettes de soleil avec branche centrale en hauteur qui lui donne des faux airs de Freddy Mercury. Coïncidence amusante, Radio Gaga de Queen passe à la radio à ce moment là. La fatigue me fait penser qu'il danse à grand renfort de moulinets et d'effets de tête pas très concluants. Je me demande si les conducteurs ont des playlist spécifique ou zappent la radio aléatoirement. Il y a bien eu le fan de Shania Twain, de Mariah Carey ou même des Beach Boys. Et souvent le genre de standards  qu'on n'entend que dans un bus et qu'on apprécie que dans un bus. Les transports en commun, le meilleur moment de la journée.




La FUITE


[...]Il y a des années de cela, lorsque je vivais sur plusieurs étages dans un environnement un peu plus proche de la campagne, l'arrivée des beaux jours signifiait la venue des quatre cent coups. Une manière plutôt saine de s'évader sous quelques ultra violets. On s'esquivait par la fenêtre, colorant nos vêtements de gazon presque jaunâtre.  La grande attraction de l'été était de sortir de l'abri de jardin un bac bleu en plastique, creusé façon parc aquatique 5 étoiles. 


Malheureusement ce jour-là, le fameux ciel bleu piscine attendu était aux abonnés absents, remplacé par une pluie diluvienne qui aura eu au moins le mérite de créer des bassins à débordements. Et comme souvent quand on est enfant, j'ai eu cette idée insensée de le rapporter à l'intérieur, pas vraiment inquiétée par l'eau qui valsait dangereusement dans le couloir au parquet vitrifié. Je l'ai posé au sol sur un petit tapis quand des cris ont retenti. Le contenu du bac s'était infiltré dans les interstices du sol vernis et bientôt atteignit le plafond du bureau en dessous, laissant une marque gigantesque aux contours irréguliers.

La trace mit une éternité à partir, je pourrais  la retrouver sans difficulté en m'introduisant chez les nouveaux propriétaires, à moins qu'ils n'aient tout détruit depuis. Cette marque me semblait indélébile, témoignait d'une bêtise infantile mais mettait en exergue la notion de fuite. Une fuite d'eau au sens propre. Une traversée, un échappatoire au sens figuré. Elle représentait comme un symbole, qui nous permettrait d'accéder à une forme de vérité, de liberté. Ce concept de fugue volontaire ou inconsciente, contrainte ou complètement délibérée nous poursuit toute notre vie. On peut échapper à l'orage qui gronde, aux éclairs qui ne présagent que le pire, à cette lumière et chaleur anormales, puis au tonnerre vrombissant qui se rapproche dangereusement. Au choix on subit ou on s'enfuit, quitte à prendre le risque de se faire foudroyer dans sa course effrénée. Si elle peut paraître lâche, révélant une trop grande faiblesse, cette stratégie peut aussi épargner bien des tempêtes.

 Certaines personnes tendent à nous entraîner dans leur évasion dans toute sa relative légitimité. Ces quarantenaires richissimes qui réservent leur aller simple pour Mars, qui rêvent de quitter la terre, le chaos de l'humanité pour rejoindre la quiétude d'une autre contrée de la Voie Lactée. Ces groupes de sans abris regroupés dans les gares glaciales, rêvant devant les tableaux où semblaient déroulées crânement des destinations qu'ils ne pourraient sans doute qu'imaginer.[...]

vendredi 22 avril 2016

The seafood platter



Sloppy Louie's. Brooklyn

Difficile d'échapper au grand cérémonial du plateau de fruits de mer lorsqu'on passe tous ses étés sur la côte. Cette passion pour les bouchées visqueuses demeure un vrai mystère mais confère cette élégance aquatique difficile à expliquer, à la fois désuète et enviable ( le fameux scénario snob "Après s'être régalé de quelques langoustines, direction l'opéra!") .

La Côte Atlantique n'échappe pas à la règle avec ses plateaux à trois étages gargantuesques de coquillages et crustacés, dont des crabes XXL. 
Le rituel eut cette fois-ci lieu dans une trattoria où crachotaient des tubes de Tom Jones ( toujours cette ambiance feutrée associée aux plateaux de fruits de mer). Les serveurs virevoltent entre les machines à découper le salami et d'étonnantes lampes dépareillées d'une autre époque.

-  Dans la ville d'hiver d'Arcachon, plusieurs propriétés sont désormais dévorées par les termites: plusieurs panneaux d'entreprises de décontamination sont plantés devant l'entrée. Derrière les buissons survivants, on croit entendre des jardiniers plein d'espoir s'activer entre deux roulades sur le gazon moins verdoyant

- Au cours d'un déjeuner avec vue incroyable ( ou improbable) sur une rangée de caddies, j'apprends que les Vietnamiens raffolaient de ragoût de chien pendant la guerre. S'ils épargnaient leur propre labrador, aucune excuse pour ne pas faire un barbecue avec le caniche du voisin ( Hot dog). Bon appétit. 

- Séjour dans un  quartier paisible où la propriétaire nous accueille en vélo. Une femme amicale avec qui on a envie de discuter longuement. L'appartement est assez curieux, à la fois personnel et incomplet. Les poignées des portes tombent, les verrous sont inexistants. Trois cadres de photos de famille trônent dans l'entrée sur une table basse, dont ce cliché de trois enfants de trois âges différents regardant dans trois directions différentes, postés devant un portail. Le père semble avoir disparu du paysage, mais son existence se devine facilement, antérieure ou délocalisée. On se demande quelle était exactement la fonction de cet appartement, qui y avait vécu ou y vivait toujours et pour quoi faire.

- La découverte gastronomique du mois: des fusillis aux aubergines et à la figue

- Des blousons de biker lilas ont envahit les magasins. La folie pastel anglaise est de retour!

- Passage devant les Grands Hommes après 4 ans d'absence
 J'avais longtemps cru que ce cette serre géante était réservée aux séances shopping de grands hommes d'affaires ( forcément) très grands, avec tailleurs et cafés tous deux très serrés, ainsi qu'un solarium sur le toit, où échouaient ces chasseurs de tête en complet sur des transat en bois rutilant.
Aujourd'hui on peut y acheter du liquide vaisselle chez Carrefour Market.

- Pour rester idéaliste, rien ne vaut des compilations de Northern Soul ( le mot clé du jour)