mardi 18 décembre 2012

Interview d' Aurore Berger Bjursell , créatrice du blog Cineaster



 Le chef d’œuvre norvégien Norway of Life



Spécialiste du cinéma nordique - notamment du 7ème art norvégien , Aurore espère faire découvrir des longs métrages souvent injustement méconnus émanant d'une culture scandinave singulière. Son blog Cineaster est une mine d'or en matière de critiques , analyses et actualités d'un art passionnant qu'il est encore temps de découvrir. Makinfluence a tenu à avoir quelques tuyaux pour s'initier à ce cinéma très spécifique et vérifier la véracité de ses mythes et idées reçues.



1°) Quel est l'objectif du blog cineaster.net ? 

J'ai créé cineaster.net pour pour remédier à mes frustrations professionnelles et de cinéphile. Formée pour valoriser le patrimoine cinématographique scandinave, je n'arrive pas encore à vivre de ce que j'ai étudié pendant de longues années. Du coup, j'utilise cineaster.net pour montrer des morceaux de films et faire entendre des bandes originales d’œuvres que j'aimerais montrer et voir sur grand écran. 

2°) Comment qualifieriez vous le cinéma norvégien, et plus généralement le cinéma nordique ? 

Le cinéma norvégien est obsédé par sa spécificité norvégienne, peut-être parce que le pays n'est indépendant que depuis 1905. L'individuation, l'identité, les mythes et la réalité du monde sont les sujets récurrents. On lit parfois que le cinéma norvégien a deux thèmes : « la perte de l'innocence » et comment des « personnes hors du commun essayent de mener une vie normale ». Par contre, je ne sais pas si j'oserais qualifier le cinéma nordique dans son ensemble... 

3°) On dit souvent que le cinéma nordique est très "froid" , est-ce seulement un cliché ou y a-t-il une part de vérité dans cette idée reçue ? 

Si froid est synonyme de maîtrisé, oui. Si froid est synonyme d'inhumain, la réponse est non. De nombreux films nordiques sont touchants. Mon film préféré de 2011, Volcano, le film islandais de Rúnar Rúnarsson est un film sur le vieillir ensemble. Un peu comme Amour de Haneke, que je ne qualifierais pas de froid. Des comédies comme Sound of Noise ou Le Roi du Curling ne sont pas froides elles non plus. Il est également vrai que les comédies nordiques s'exportent très mal et que le cinéma danois à de quelques rares exceptions près ressemble à une concentration de drames glauques.
Je pense que c'est une question de sensibilité. Les films français avec des trentenaires mal coiffés dans leurs appartements parisiens ne me touchent pas. Je les trouve plus froids et indifférents que leurs voisins scandinaves. Il faut dire que je n'ai pas le tempérament latin et que je suis née en hiver. J'ai donc des circonstances atténuantes. 

4°) Quels sont selon vous les réalisateurs nordiques à suivre? 

Le réalisateur dont j'attends le plus pour 2013 est Eskil Vogt, le scénariste de Joachim Trier qui sortira Blind (Aveugle) au second semestre. Ses courts-métrages prouvent qu'il est définitivement à suivre.
Bobbie Peers, le réalisateur de Sniffer, Palme d'Or du Meilleur Court-Métrage en 2006 est en train de préparer son premier long-métrage. C'est là aussi un réalisateur dont j'attends beaucoup.
En Suède, je pense que le nominé à l'Oscar du Court-Métrage pour Istället för abrakadabra, Patrik Eklund est un cinéaste à suivre. Son premier long-métrage Flimmer est sorti en septembre 2012.
Et comme je l'ai dit plus haut, l'Islandais Rúnar Rúnarsson m'avait bouleversée l'an passé. 

5°) Quels sont les films norvégiens à voir pour découvrir ce cinéma méconnu ? 

Sur cineaster.net, j'avais dressé en 2011 une liste de 17 films norvégiens à voir avant de mourir. Et cette année, j'ai apporté quelques modifications en choisissant 66 films qui ont fait l'histoire du cinéma norvégien. Norway of Life de Jens Lien est à mon sens un incontournable. Eggs et Kitchen Stories de Bent Hamer également. Ils sont est drôles, maîtrisés, et absurdes. Comme des héritiers d'un Knut Hamsun acidulé.

6°) Quels sont les derniers bons films nordiques que vous avez vus ? 

J'ai passé les derniers mois presque à 100% dans le cinéma norvégien d'hier et aujourd'hui. J'ai donc assez peu suivi l'actualité. Les films qui m'ont donné le plus envie sont Flimmer, Äta, Sova, Dö, Kapringen et 90 minutter. Un des meilleurs films de 2012 que j'ai vu étant Kompani Orheim. 

7°) Quel est le rapport des Norvégiens au cinéma ? Vont-ils beaucoup dans les salles obscures? 

Toutes les statistiques sont là : http://www.nfi.no/norskfilm/statistikk/periodiske-rapporter/facts Ce qui est intéressant est de constater que malgré une production très diversifiée, l'année 2012 a été une mauvaise année pour le cinéma norvégien en Norvège. J'attends de voir comment la politique culturelle va évoluer.
 
8°) Quel genre de cinéma ( autre que national ) est apprécié là bas? Est-ce que le cinéma français est connu ? 

Comme partout, le cinéma américain domine les sorties. Le cinéma français est connu et apprécié. Pour donner un ordre d'idée, le nombre total de films nationaux + les films européens + les films du reste du monde hors USA = le nombre de films US qui sortent chaque année sur les écrans norvégiens. Le cinéma norvégien a une part de marché souvent supérieur à 15%, ce qui est une déception quand les politiques voudraient atteindre année après année les 25%. 

9°) Quelles sont selon vous les principales icônes du cinéma nordique? 

Historiquement, il y en a plusieurs. Asta Nielsen, Greta Garbo et Ingrid Bergman pour les actrices.Victor Sjöström, Mauritz Stiller et Benjamin Christensen pour l'âge d'or du cinéma muet. Carl Theodor Dreyer et Ingmar Bergman pour les réalisateurs mythiques. Tancred Ibsen, Gustaf Molander, Teuvo Tulio pour les classiques pas assez médiatisés. Peter Stormare, Stellan Skarsgård, Mads Mikkelsen pour les acteurs contemporains. Noomi Rapace ou Alicia Vikander du côté des femmes... Et cette liste est loin d'être exhaustive... 

10°) Quelle est la différence entre le cinéma suédois et norvégien ? 

Entre la Suède et la Norvège, on est dans le « si loin si proche ». J'aime souvent rappeler que la Suède détient la deuxième place à l'Eurovision ex-æquo avec la France, le Luxembourg et le Royaume-Uni (cinq victoires) tandis que la Norvège détient le record de dernière place dans ce même concours musical (11 dernières places). En matière de cinéma, c'est un peu pareil. Le cinéma suédois est le lièvre. Le cinéma norvégien, la tortue. Le cinéma norvégien a mis des décennies pour produire des films aussi régulièrement que la Suède. Mais depuis la fin des années Quatre-Vingt-Dix, la donne change. La Suède a plein de souvenirs de grandeur (Sjöström, Bergman, Mattsson, Widerberg) mais n'en fait pas grand chose. La Norvège, elle cultive la mémoire. Stylistiquement, la Norvège utilise la côte comme paysage dramatique. La Suède, comme paysage bucolique. Les films suédois sont plus sociaux réalistes, aspect qu'ils cultivent depuis les années Soixante. Les comédies mettent en scène des personnages lambda. Tout l'inverse des comédies norvégiennes dans lesquelles les protagonistes sont des rebelles. Je parle là de tendances, bien sûr. En regardant Sound of Noise, je pense à la Norvège alors que le film est tourné en Scanie, dans le sud de la Suède. En voyant Mennesker i Solen, d'après la pièce de Jonas Gardell, on a l'impression d'être dans une comédie d'archipel suédoise. Ce n'est pas donc pas un découpage exact, mais des tendances. Les thrillers urbains sont un peu les mêmes discours sur la société, les femmes abusées, les enfants exploités, les immigrés en situation précaire etc... Mais là, on sort carrément d'une comparaison Norvège/Suède pour parler d'un genre qui se ressemble un peu partout dans le monde. 

11°) Lorsqu'on parle de cinéma nordique , on évoque souvent "le film de chalet" , quel est exactement ce genre ? 

Dans des pays peu peuplés, on est plus proches de la nature. Cela tombe sous le sens. Mais parfois, cela devient angoissant. En Anglais, on parle de Cabin Fever (http://en.wikipedia.org/wiki/Cabin_fever).
Les films de chalet, ce sont des variations sur les peurs ancestrales liées à la nature. Dans ces films, on trouve le strict minimum: quelques protagonistes, un lieu clos (le chalet, la maison isolée), une nature proche et hostile et un antagoniste réel ou imaginaire. Les contes pour enfants en sont truffés. Le cinéma aussi. Evil Dead en est un, Un Lac, aussi. Il est particulièrement vrai que sa récurrence est marquante dans le cinéma scandinave. Alors même si je le redoute, le Hansel et Gretel de Tommy Wirkola m'intéresse. C'est en effet une variation sur le conte de chalet (un frère, une sœur,
une sorcière, une maison de pain d'épice) en mode revanchard 3D. 

12°) Vous avez écrit un livre sur le cinéma norvégien , quelle est la différence avec le blog , quel était l'objectif de cet ouvrage?
J'écris toujours le livre sur l'histoire du cinéma norvégien. Le blog est audiovisuel. Le livre, non. Aucune image ne sera imprimée, il sera un pur livre d'histoire. J'ai par contre publié un petit guide recensant 66 films norvégiens pour donner envie aux cinéphiles d'en apprendre plus sur un cinéma que certains résument à Kitchen Stories, Cold Prey et Oslo, 31 août. 

13°) Trouvez vous qu'un film nordique tourné en anglais perd de son authenticité? 

Il se transforme indéniablement. Est-ce une perte ? Je ne peux pas en juger. 

14°) Quels films nordiques inconnus gagneraient à sortir en France? 

Headhunters ! Je ne comprends pas comment un film adapté d'un polar à succès de Jo Nesbø, primé à l'Etrange Festival et dans lequel joue un des protagonistes du Trône de Fer ne trouve pas sa place sur les grands écrans français.
Flimmer, car sa bande-annonce m'a fait sourire.
Kon-Tiki, le plus gros succès de l'année en Norvège, qui est toujours dans la présélection pour l'Oscar du Meilleur Film Étranger gagnerait à être montré sur grand écran. 

15°) Quels sont vos films nordiques favoris sortis à l'international ? 

La liste est trop longue, j'aurais peur d'en oublier. 

16°) Quels sont les symboles récurrents qu'on trouve dans un film norvégien ? 

Les masques qui tombent, les uniformes qui cachent la médiocrité, les plans codes barres dans lesquels l'incommunicabilité est personnifiée par des troncs d'arbres plantés entre les personnages, les chœurs qui empêchent la voix d'un individu seul d'être entendue, les femmes fortes et expérimentées qui si s'en sortent mieux que les hommes mous et rêveurs, et quelques-autres... 

17°) Est-ce que le cinéma norvégien emprunte à d'autres cinémas ou est-il totalement novateur? 

Je pense qu'il n'existe pas un seul cinéma qui soit original. Bien sûr que le cinéma norvégien comme le cinéma français ou coréen emprunte à d'autres. Le cinéma hollywoodien est bien sûr une source d'inspiration. Mais pas seulement. Knut Erik Jensen est fan d'Alain Resnais. Joachim Trier est un admirateur de Robert Bresson. Même les comédies norvégiennes sont empruntes de comédies anglaises. Après, on pourrait bien sûr rappeler que La Chasse, le film de 1959 réalisé par Erik Løchen, le grand-père de Joachim Trier aurait influencé François Truffaut pour réaliser son Jules et Jim. Mais c'est une autre histoire... 

18°) Auriez vous des films de Noël nordiques à nous conseiller ? 

Cela dépend de ce à quoi on associe Noël.
Pour faire peur au vieux gâs, le finlandais Père Noël Origines.
Pour faire rêver les enfants, le norvégien Le Secret de la Montagne Bleue.
Mais si vous préférez célébrer un Noël dysfonctionnel réussi, rien ne vaut le film suédois Happy Christmas! 





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