Et voilà quelques bribes d'une tentative plus ou moins fastidieuse de consigner tous les événements survenus.
L'objectif n'est pas de faire une autobiographie ( ce serait tout simplement chiant) mais d'essayer de mettre des mots sur un trouble encore trop mal compris et enclin aux clichés et aux idées reçues et qui demeure un mal très caractéristique de notre époque. Difficile de comprendre comment pense un "malade" ( ce mot me dérange d'ailleurs) qui entend aussi exister à travers et en dehors de sa pathologie qui lui est tombée dessus comme on diagnostiquerait un cancer ( avec ses rechutes et sa rémission), à la différence que la dégradation est progressive et très variable et que des facteurs extérieurs peuvent fortement y contribuer. Les années qui passent, la reconstruction qui s'avère plus semée d'embûches que prévue, le "traitement" qui n'existe pas vraiment, les rencontres qui jalonnent cette période et renforcent...
Cet "essai" n'a pour l'instant ni titre ( je mets un nom italien temporaire pour me la jouer) ni construction chronologique. Voici quelques extraits mélangés à l'image de mes souvenirs, dans lesquels beaucoup se reconnaîtront .
Petite mise en garde cher lecteur, tout ceci est particulièrement sombre, tu auras probablement envie de regarder une émission de télé réalité sur les mariages, ou de mordre dans un maxi cheese burger dégoulinant après avoir parcouru ces quelques lignes et d'hurler YOLO* dans la rue. Rien n'est édulcoré, ni dramatisé, ni romancé et appartient au passé :)
* YOU ONLY LIVE ONCE
"On cogite sans cesse, on bouillonne, on bâtit
des banques gigantesques d'images mentales en permanence, jusqu'à se
torturer l'esprit. Le retour à la vraie vie est toujours très
brutal. On associe différents sens les uns aux autres et se
souvenons du moindre détail à priori anodin mais qui se révèle
avoir une signification essentielle pour nous. Les odeurs, les sons,
les couleurs. On voyage dans le futur, dans le passé ou dans une
sorte de présent parallèle, d'où la grande difficulté à affronter la
réalité. On est physiquement là mais spirituellement très
loin."
"Le goût du vide, l'attrait pour le manque, la satisfaction de parvenir à lutter, aussi perverse et dangereuse soit-elle'"
"Nous étions défoncés au Xanax, dopés
au Phosphoneuros, au HPV, Tertian , Risperdal Seroplex, Deroxat... une longue liste de médicaments qui devinrent un shoot
anodin quasi quotidien avec le temps..."
"On me renvoya chez moi. Je m'écroulai
sur le canapé, fixant le vide. J'avais l'impression de plonger dans
les abysses, de m'enfoncer dans le néant."
"Des silhouettes spectrales et léthargiques, transies de froid, parfois enveloppées dans des couvertures, à la démarche très lente, comme si l'acte primaire de marcher demandait un effort considérable. Des visages déformés, creusés, concaves qui attirent le dégoût et ne sont qu'ombres, figures cadavériques prêtes à défaillir".
"L'addiction est incroyablement malsaine, plus on sombre, plus on exulte, plus on est faible plus on se sent fort, plus on dépérit plus on est dans la plénitude . On établit alors une corrélation irrationnelle entre ascension sociale et descente aux enfers."
"On est persuadé de respirer la santé, d'avoir une énergie inépuisable, on ne ressent plus la fatigue, on se sent apte à mener une vie normale, voire
suractive, alors que l'arrêt cardiaque est tout proche."
"Certains individus ont cette fragilité,
cette prédisposition malheureuse à l'addiction, à vaciller dans le
vide à la moindre « attaque ». Une explosion fulgurante"
"Il me demanda pourquoi, j'étais
incapable de l'expliquer, je balbutiais des paroles incompréhensibles,
moi qui croyais avoir le contrôle, la totale maîtrise, j'avais la
sensation de perdre pied, d'être tout à coup vulnérable"
"Je le savais depuis quelques jours
déjà. Il était trop tard, je ne pouvais plus faire machine arrière, je ne pouvais y échapper. On m'avait prévenu, averti, secoué, mais la maladie fut
plus forte que tout. Ce n'est pas tant une question de volonté quand
ce semblant de double s'empare de vous, contrôle vos faits et gestes
et vous fait basculer dans les ténèbres quitte à y laisser la vie. Le sevrage allait être long, très long."
"Je découvrais alors l'envers du décor, dévisageais de nouvelles têtes, sentis de nouvelles
odeurs, entendis de nouveaux bruits, du mouvement, de
l'effervescence, un premier aperçu du reste du monde qui gravitait
autour de moi depuis ce qui me paraissait comme une éternité."
"Ce jour là, le soleil avait timidement
fait son entrée, après des jours de grisaille, comme si la météo
était au diapason des événements, un climat déprimant comme les
semaines qui s'écoulaient beaucoup trop lentement. Et si la lumière
avait fait son apparition, c'est que le présage était bon."
"Hélas, je sais
pertinemment que cette maladie est presque incurable, on vit avec, on
meurt bien souvent avec: elle est l'une des
pathologies les plus complexes à soigner, tant la multiplicité de
ses variantes est infinie."
"On se demandait
comment était la vie « dehors »: les ados de notre âge
qui s'éclatent sur la plage, qui ont des sujets de conversation qui
ne tournent pas autour de la peur de la NEC, des 300g pris la veille ou de la perspective d'une
« permission », et des occupations à mille lieues de
notre routine infernale."
"Peu appréciés des
autres, nous étions devenus
inséparables, connectés par un même esprit tourmenté et une
estime meurtrie, nous avions la même manière de penser. On parlait pendant des heures pour élaguer la noirceur de nos journées."
"Il décryptait tout: la manière de se
tenir, de marcher, de s'asseoir, de poser ses mains, chaque mot
utilisé. Son regard insistant mettait mal à
l'aise, perturbait. Je me prêtais tout de même au jeu et commençais les séances . Je sortais à chaque fois dans
un état semi comateux, épuisée."
"Être spectateur du monde et jamais
acteur. Voilà ce qui pourrait parfaitement décrire ce qui se
déroula les années qui suivirent. Monter sur scène était une perspective terrifiante".
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